Réponse à l'article sur le NPA, paru dans le numéro 58 d'ébullition (nov. 2008).
Par Didier Eckel: cofondateur d'ébullition et membre du NPA (comité du Bugey).
Cette réponse n'engage que son auteur, elle n'engage aucunement le NPA
1/ La critique (légitime) du NPA, portée dans l'article d'ébullition sur ce futur parti me paraît, ici, un peu rapide. Il n'est pas question de mettre en doute la bonne foi de son auteur mais je n'ai pas eu la sensation que la réunion publique du NPA d'Ambérieu (mentionnée dans cet article) fut principalement consacrée à des questions économiques. Il me semble même que cette question fut assez peu abordée... mais on sait combien les perceptions d'une même réalité peuvent varier selon les observateurs. Je me contenterai donc de ne pas partager cette impression sans développer sur ce point (ne pouvant argumenter précisément sur le poids véritable pris par l'économie dans cette réunion).
2/ Passons à la question de l'éventuelle nouveauté de ce "Nouveau" Parti Anticapitaliste, puisque le problème est posé dans l'article d'ébullition: La mention "nouveau", dans le sigle NPA ne semble effectivement pas faire référence à une analyse radicalement nouvelle de la société capitaliste contemporaine (comme le regrette d'ailleurs l'auteur de l'article) mais elle fait référence à une donnée toute simple, à savoir que ce parti est en train de se créer... et c'est bêtement en cela qu'il est "nouveau". Cependant on peut noter que si les analyses ne sont (malheureusement) pas "nouvelles" la démarche, elle, marque une différence avec les autres organisations militantes. Je n'aurais pas la prétention de dire qu'il s'agit là d'une "nouveauté" mais je crois qu'il s'agit bien, cependant, d'une différence. A savoir une démarche tentant de regrouper dans une même organisation des sensibilités militantes diverses (marxistes, libertaires, socialistes républicaines, alter-mondialistes...) se reconnaissant autour d'un horizon commun: la fin de l'organisation capitaliste du monde social. L'entreprise est certes périlleuse mais je la trouve, pour ma part, passionnante... Soit, mais tout ceci ne légitime en rien l'incapacité du NPA à produire une conception radicalement nouvelle de l'anticapitalisme! Pour autant, quel groupe ou quel individu peut il prétendre avoir trouvé du "nouveau" en ce qui concerne l'analyse du capitalisme et (surtout) les stratégies qui permettraient d'en sortir? Le NPA, comme tout groupe humain, n'est composé que d'individus qui tâtonnent et qui, au mieux, peuvent prétendre à affiner laborieusement les recherches et réflexions existantes. La démarche de mise en tension dans une même organisation des différentes traditions anticapitalistes, adoptée par le NPA, accouchera t'elle d'une (relative) "nouvelle" proposition stratégique? L'avenir nous le dira (la première étape étant de réussir à faire entrer puis travailler ensemble toutes ces traditions).
3/ Abordons maintenant la question centrale posée dans cet article: la "société de consommation" (je reprends, à dessein, la terminologie à la mode dans les années 60-70 pour mentionner au passage que la question, là aussi, n'est pas fondamentalement nouvelle -Elle est même évoquée bien avant les années 60). A mon avis cette question, abordée aujourd'hui sous l'angle de la "décroissance", est effectivement insuffisamment prise en compte dans le NPA et je pense qu'ébullition a raison d'interpeller le NPA sur ce problème. Pour autant, je constate que le débat sur ce sujet monte en puissance dans cette organisation et les "décroissants" n'y sont pas pour rien. Un débat contradictoire et passionnant a d'ailleurs eu lieu durant l'université d'été de la "LCR - NPA" en 2008. Pour être plus circonspect dans sa critique du NPA, je crois que l'auteur aurait pu prendre en compte toutes les positions et contributions de la LCR (qui a pris l'initiative du NPA) au débat sur des questions similaires. La LCR n'a jamais été un parti ouvriériste qui aurait fait de la domination économique le seul combat possible. Certes, en tant qu'organisation marxiste, l'exploitation (dans toutes ses dimensions) fut une préoccupation centrale de la ligue* mais la LCR fut (et le NPA se positionne encore) à la pointe du combat féministe et homosexuel, du combat contre les dominations culturelles, du combat pour la démocratie directe (participative dirait on aujourd'hui), etc... Enfin, la LCR, quelques années avant que soit prise la décision de créer le NPA, a ouvert ses portes à des militants non marxistes (dont je fais parti) qui ont, je crois, modestement contribué à une prise en compte accrue de la question écologique au sein de cette organisation. En conclusion de ce petit paragraphe, je ne pense vraiment pas qu'il soit possible d'argumenter sur le fait que le NPA serait le défenseur "des vertus de la croissance" comme pourrait le laisser penser l'article (par maladresse ou conviction?).
4/ Passons maintenant au débat interne au NPA, évoqué par l'article, sur la question de la pertinence (ou non pertinence) d'une campagne sur le "pouvoir d'achat". Ce parti semble avoir tranché, de fait, puisque, jusqu'à présent, cette thématique ne revient dans aucun de ses écrits (à ma connaissance: les tracts aussi bien locaux que nationaux sont accessibles par le biais des listes de diffusion Internet du NPA). Cependant la façon de traiter la question du partage des richesses par certains militants du NPA ne me convient guère et je reprends, là, en compte la critique émise par l'article. En effet comment dissocier la question du partage des richesses dans notre pays sans traiter en même temps la question du partage des richesses mondiales? Sans traiter en même temps de "l'explosion de l'humanité" en cas d'augmentation planétaire de la consommation? Et enfin sans traiter en même temps de la question du rapport individuel à la consommation et de l'oppression de l'individu sur lui même que semble induire cette consommation? Ces militants traitent de la question du partage des richesses mondiales, ce serait leur faire injure de soutenir le contraire (la dimension internationaliste est très importante au NPA) comme ce serait leur faire injure de dire qu'ils ne traitent pas de la question écologique... mais ce qui me pose problème c'est que ces militants ne parviennent pas à prendre en compte toutes ces questions dans un même ensemble. Si certains dissocient les questions les unes des autres et ont du mal a produire de la synthèse globale, c'est me semble t'il, parce qu'ils ont tendance à mélanger questions stratégiques et analyse sociale. Il est plus aisé de produire une analyse sociale cohérente lorsqu'on ne se préoccupe pas de la question stratégique: l'analyse s'autonomise et gagne en cohérence. Mais peut on espérer changer le monde social sans élaborer de stratégie? Je ne le crois pas: le monde social est constamment modelé (ou figé) par toutes sortes de stratégies (conscientes et inconscientes). Une des questions stratégiques majeures est: comment élaborer un discours pertinent sans produire une rhétorique (et un comportement) avant-gardiste? Le discours avant-gardiste peut éventuellement être pertinent mais il reste inaccessible aux classes populaires qui ont pourtant le plus besoin de changer le monde. Cette question, à mon sens très importante, est extrêmement complexe. Aucune réponse n'est totalement satisfaisante et nous, militants, "naviguons parfois à vue" entre un "écueil démagogique" et un "écueil avant-gardiste". Cependant la force du NPA réside, je le crois sincèrement, dans la faculté critique d'un grand nombre de ses militants. J'ai bon espoir que les débats (externes et internes) affineront les points de vue et les stratégies de ce parti.
5/ Pour terminer, la question du suicide posé dans l'article (pourquoi y a t'il des suicides dans les usines) me semble traitée un peu rapidement. En effet, s'il est probable qu'on ne se suicide pas pour une prime non versée, je ne suis pas sur qu'on puisse en déduire qu'on se suicide pour cause de surconsommation. Le fait de se suicider dans l'enceinte de l'usine pourrait peut être indiquer une réelle souffrance au travail décrite par les ouvriers eux-mêmes mais aussi par les médecins du travail et par quelques sociologues? Si tant est qu'on puisse déterminer avec certitude les causes d'un suicide, qui sont probablement plurielles et complexes (mais sur ce point, je suppose que nous sommes d'accord?).
6/ Cette dernière question m'amène à ma conclusion: Le monde social est trop complexe pour qu'on puisse croire qu'un axe unique d'interprétation suffirait à l'expliquer et donc à le changer. Je suis persuadé que bon nombre "d'objecteurs de croissance" (que je rencontre assez souvent) ainsi que la majorité des militants du NPA (que je côtoie régulièrement) sont ouverts aux interprétations complexes du monde. La question ne serait donc pas de "laisser le NPA aux mains des objecteurs de croissance" comme le conclue l'article. Les organisations militantes ne sont pas à prendre ou à laisser, elles travaillent à acquérir une légitimité auprès des populations qui souffrent (en faisant très attention de ne pas jouer la séduction... avec les sirènes du pouvoir d'achat notamment). La question serait plutôt de comprendre, enfin, que les "décroissants" et le NPA ont un nombre important d'analyses et d'ambitions communes, sans nier des divergences réelles à mettre en débat (mais ce qui rapproche les deux conceptions me semble potentiellement plus rassembleur que ce qui les sépare). J'admets que le NPA peut avoir une tendance à survaloriser la question de l'exploitation mais les "décroissants" ne sont ils pas un peu trop focalisés sur la question de la surconsommation? D'une part, les deux questions sont totalement liées (une réflexion devrait permettre de voir comment travailler ces deux dimensions ensemble) et d'autre part il existe d'autres formes primordiales d'oppressions qu'il faut impérativement combattre (la domination masculine, par exemple).
Pour finir, je dirais qu'au-delà des irritations dues aux frottements des deux conceptions, le débat est possible (il existe déjà) entre les objecteurs de croissance et le NPA... et ce débat vaut beaucoup mieux que cet article d'ébullition, beaucoup trop rapide à mon goût et probablement un peu caricatural (parce qu'écrit avec irritation?).
* Si l'exploitation n'est pas l'unique oppression, pour autant je pense que cette dimension est extrêmement importante. Supprimer l'exploitation me semble même être un préalable (mais pas un aboutissement) à toute politique émancipatrice. Comment, en effet, régler le problème de la surconsommation (puisque c'est ce problème qui nous préoccupe ici) s'il n'y a pas une maîtrise démocratique de la production par la population? (Que cette maîtrise soit appelée "socialisation des moyens de production" ou non). Mais cette seule maîtrise de la production par la population ne suffira peut être pas à enrayer la surconsommation: une population pourrait, peut être, décider de se "manger elle-même"? Ce cas serait peut être le cas si cette population élaborait ses décisions sous la coupe d"autres dominations (notamment culturelles?). S'il faut donc supprimer l'exploitation... il faut également attaquer les autres types d'oppression.
Par contre, si l'on ne s'attaquait pas frontalement à l'exploitation pour la détruire, seul un pouvoir autoritaire (voire totalitaire) pourrait faire cesser la surconsommation. La régulation de la consommation est nécessairement une baisse de la production donc l'enjeu de production ne serait donc plus un enjeu d'exploitation (même s'il peut subsister de fortes inégalités face au travail). Le pouvoir autoritaire mettrait alors en place de nouvelles dominations pour se maintenir en place.
Donc, que ce soit avec des mesures ultra démocratiques ou avec des mesures ultra autoritaires (possiblement totalitaires car il est probable que la sortie du capitalisme ne se fasse pas dans la sérénité), la baisse de consommation ne peut se réaliser qu'avec la fin de l'exploitation. Tant qu'à faire, essayons que cette fin de l'exploitation se fasse le plus démocratiquement possible, c'est-à-dire de façon attentive à toutes les formes d'oppression.