Nous ne sommes pas dans une situation de pénurie mondiale. Quoique extrêmement faibles, les stocks sont encore suffisants pour faire la jonction entre deux récoltes. Mais laccès à lalimentation des populations sest dégradé brutalement face à une augmentation considérable des prix. Elle aggrave encore la situation actuelle (20 000 morts par jour, près de 900 millions de personnes souffrant de malnutrition dont 80% de paysans).
La faiblesse des stocks est en cause. Elle provient en partie de phénomènes nouveaux : une demande forte en céréales et oléagineux pour lalimentation, une demande en hausse pour la production dagrocarburants industriels (éthanol et diester) et des accidents climatiques qui ont diminué les récoltes sur certains territoires de la planète.
Mais cette nouvelle tension sur les marchés révèle surtout des problèmes structurels, issus de choix économiques désastreux, basés sur la
croyance des bienfaits pour lhumanité de la libéralisation des marchés agricoles et de la marchandisation tous azimuts :
avançant la nécessité du remboursement de la dette, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale contraignent
depuis des dizaines dannées les pays pauvres à réorienter leurs productions agricoles vers lexportation. Ces pays ont ainsi dû délaisser leurs cultures vivrières, augmentant leur
dépendance aux marchés extérieurs ;
sous légide de lOrganisation mondiale du commerce et sous la pression des accords bilatéraux, les politiques agricoles de
tous les pays et leurs tarifs douaniers ont été progressivement démantelés : lagriculture paysanne des pays du Sud se retrouve sans protection, en compétition directe avec
lagriculture subventionnée et industrielle des pays du Nord ;
la spéculation sur les marchés de matières premières accentue linstabilité, à la baisse ou à la hausse, de leurs prix.
Elle sinscrit dans le cadre dun capitalisme financier exacerbé, qui détériore lensemble des conditions de vie, y compris dans ce quelles ont de plus élémentaire ;
de nombreux pays, en soutenant le développement des agrocarburants, répondent aux intérêts des multinationales mais mettent
un peu plus en danger la sécurité alimentaire mondiale. Tandis que leur bilan carbone est contesté dans la plupart des cas, les cultures intensives dagrocarburants concurrencent
directement les productions alimentaires et favorisent la hausse des prix et la spéculation.
Pour toutes ces raisons qui nont rien de conjoncturel, il est à craindre que lextrême pauvreté et les conflits régionaux ne fassent que
saggraver. Seules des mesures cohérentes, en rupture avec les politiques libérales actuelles, peuvent permettre dendiguer la catastrophe qui sannonce :
une régulation mondiale des marchés agricoles avec le recours aux stocks publics dans le cadre dune instance
internationale sous lautorité des Nations unies : elle doit permettre une régulation des prix mondiaux compatible avec lintérêt général et linstauration dune fiscalité
procurant les ressources publiques pour satisfaire les besoins en développement des pays du Sud ;
la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire, cest-à-dire le droit des populations, de leurs États ou Unions à
définir leur propre politique agricole et alimentaire sans dumping vis-à-vis des pays tiers ;
lannulation de la dette des pays pauvres et laugmentation substantielle de laide publique, à commencer par celle de
lUnion européenne et de ses États membres, qui est aujourdhui en diminution ;
un moratoire pour suspendre la production dagrocarburants et expérimenter des solutions alternatives, comme le propose
Jean Ziegler, rapporteur spécial de lONU pour le droit à lalimentation.
Enfin, la crise alimentaire ne peut être résolue au détriment des impératifs écologiques, notamment par la déforestation et le développement des OGM. La crise climatique et lépuisement des sols sont autant de facteurs qui, au contraire, accentuent la crise alimentaire. Les solutions résident dans des pratiques agricoles écologiques et sociales. Elles nécessitent en particulier une réorientation de la recherche publique agronomique et des politiques agricoles et alimentaires dans leur ensemble.