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22 juillet 2008 2 22 /07 /juillet /2008 22:08

Principaux concernés, les Noirs et les Maghrébins ne sont pas les seuls à être victimes de discriminations. Une politique antidiscriminations, tant dans les objectifs que dans les moyens pour y parvenir, est plus que jamais d’actualité.

 

 

 
 
Il y a toutes sortes de motifs à la discrimination : poids, taille, handicap, orientation sexuelle. Les origines ethniques en sont toutefois un des motifs principaux, dont les Noirs et les Arabes sont massivement victimes. Derrière ces termes, il y a des origines, des cultures, des nationalités, des colorations ou des phénotypes différents, qui peuvent faire varier l’intensité de la discrimination. Les effets en sont difficiles à mesurer, les statistiques dites « ethniques » étant interdites en France au nom de l’universalisme républicain. Elles concernent le travail, les relations avec la police, la carrière, l’accès au logement ou à certains services.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) a organisé un test auprès d’agences immobilières. 35 % des candidats témoins obtenaient par téléphone une visite, contre 20 % de ceux d’origine maghrébine et 14  % de ceux d’Afrique subsaharienne. Après la visite, 75 % des candidats témoins obtenaient la location de l’appartement, contre 22 % pour les candidats d’Afrique subsaharienne et 17 % pour les Maghrébins. Encore, ce test ne prend en compte, du fait de la législation, que l’origine et non l’apparence des personnes concernées : un Antillais recalé lors de la visite ne pouvant donc pas être comptabilisé.

 

Minorités visibles

Le terme de « minorités visibles », importé du Canada, est opportun pour désigner les populations soumises à de telles discriminations. Il ne s’agit pas d’un simple euphémisme, pour ne pas dire Noir ou Arabe. Il faut bien noter que la question des discriminations est différente de celle du racisme, même si les deux sont liées. Le racisme est une notion difficile à mesurer, souvent réfutée par les racistes eux-mêmes qui ne l’assument pas. La lutte contre le racisme est un travail de long terme. Mais les discriminations renvoient à des questions plus concrètes, directement politiques. Elles ne touchent pas seulement les immigrés récents, comme cela a pu être le cas pour des populations d’origine européenne : Italiens, Espagnols, Portugais, Belges ou Polonais. Au final, il était plus facile, pour eux ou pour leurs enfants, de se fondre dans la population. Un Noir, d’origine antillaise ou africaine, français ou étranger, depuis une ou cinq générations, garde une apparence qui peut le conduire à subir des discriminations. Un tel constat rend la question des minorités visibles spécifique et irréductible à d’autres formes d’oppression ou de discrimination.

Elle est en partie indépendante de la question de classe. La situation en France ne saurait être comparée aux États-Unis, où la séparation est telle que riches noirs et riches blancs ne vivent pas dans les mêmes quartiers. Mais des bourgeois noirs peuvent être victimes de discriminations, dans leur carrière ou leur vie quotidienne, même de manière plus feutrée. La sprinteuse Eunice Barber fut brutalement contrôlée par la police après une infraction routière. La domination de classe redouble bien sûr les discriminations. Dans L’Établi, Robert Linhart décrit la répartition raciste des postes, en 1968, chez Citroën. Le jeune maoïste, pourtant malhabile, est directement ouvrier spécialisé niveau 2, quand les Noirs restent manœuvres niveau 1 et les Arabes niveau 2 ou 3. Plus récemment, Nicolas Jounin, qui a travaillé comme intérimaire sur des chantiers du bâtiment pour sa thèse, décrit, dans Chantier interdit au public, comment sa couleur de peau (blanche) et sa nationalité (française) auraient fait de lui un candidat idéal au poste de chef. À l’inverse, les manœuvres noirs sont souvent soumis à l’appellation racialisante et uniformisante de « Mamadou ». Un travailleur noir qualifié est moins exposé à ce type de dénomination.

 

Représenter la diversité

Cette imbrication de la question de classe et de la question raciale pose des questions politiques importantes. C’est avec la guerre de 1914-1918 que main-d’œuvre et soldats noirs et maghrébins arrivent de manière massive en métropole. En 1918, alors que la main-d’œuvre manque, les autorités les renvoient, privilégiant l’immigration européenne. Le nombre de Noirs en métropole a néanmoins été multiplié par dix. Dans les années 1950, la guerre d’Algérie entraîne une forte immigration maghrébine pour remplacer les conscrits. Cette immigration se poursuit pendant les années 1960.

En 1961, l’État crée le Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer (Bumidom). Il s’agit, selon l’historien Pap Ndiaye, de « fournir une main-d’œuvre bon marché à l’économie française et de désamorcer la crise sociale antillaise et réunionnaise » (La Condition noire), en lien avec les administrations publiques et les entreprises privées. De nombreux Antillais deviennent ouvriers ou employés modestes en métropole. Une forte immigration africaine s’organise également, dans les années 1960, pour des emplois surtout dans le privé. Une partie de ces migrations deviennent définitives. Malgré la fermeture des frontières à partir de 1974, l’immigration africaine persiste : de nombreux sans-papiers sont africains.

En France, les classes populaires sont donc aujourd’hui indéniablement colorées, surtout dans les grandes villes. Un sondage, réalisé pour le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), en janvier 2007, montre que la structure socioprofessionnelle de la population noire est plus modeste que celle de la population totale. Il en serait sans doute de même pour les populations d’origine maghrébine. Un parti ne peut prétendre représenter les intérêts des classes populaires sans tenir compte de cette diversité. Aucun parti ne compte parmi ses dirigeants et porte-parole un nombre significatif de membres de minorités visibles. La situation du syndicalisme n’est guère meilleure, sauf aux échelons intermédiaires. La CGT ou le PCF ont longtemps assuré une promotion des classes populaires, y compris d’origine immigrée : Henri Krasucki était d’origine polonaise. Mais le PCF a raté le rendez-vous des minorités noires et maghrébines. Olivier Masclet en décrit les causes dans La Gauche et les cités, en lien avec la montée du FN. Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen ont relevé, dans La Démocratie de l’abstention, les forts votes pour Taubira, en 2002, ou pour la liste « Euro-Palestine », en 2004, dans les cités de Saint-Denis.

Le nouveau parti anticapitaliste devra se saisir à bras-le-corps de ces questions, qui ne sont pas des fronts secondaires. Il ne faut pas avoir peur de discuter de mesures d’affirmative action, mal traduites en France par « discrimination positive », tout en ayant conscience que ces mesures ont surtout servi, aux États-Unis, une bourgeoisie noire. D’où la nécessité de lier question de classe et question raciale, et de proposer des mesures dans le domaine de l’emploi, du logement. Il faut aussi poser la question de dirigeants et de porte-parole, nationaux ou locaux, en mesure de refléter la diversité des classes populaires et des salariés en France. Ne pas s’atteler à ces problèmes laisserait libre cours aux pires replis identitaires ou aux coups médiatiques d’une droite à l’affût. ■

 

 

Sylvain Pattieu

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