Les représentants des pays producteurs et consommateurs de pétrole, des
institutions internationales et des compagnies pétrolières se sont retrouvés à Djeddah, en Arabie Saoudite, dimanche 22 juin, pour une conférence sur l’énergie. L’objectif annoncé était de tenter
de faire face à la flambée des cours du pétrole, qui aggrave la situation économique et nourrit la contestation sociale et politique.
« Prenant en compte les conditions et
priorités nationales différentes, tout comme leur intérêt
commun dans un marché pétrolier
mondial stable ainsi que dans une croissance économique durable »,
les participants ont accouché d’une déclaration dont l’essentiel, comme on
pouvait s’y attendre, relève du voeu pieux : il faut plus de transparence et de régulation des marchés financiers, il faut augmenter les capacités de production et de raffinage pour faire face à
une demande qui s’accroît, il faut que les institutions financières internationales intensifient les aides « pour atténuer les conséquences des prix du pétrole élevés sur les pays les moins développés »…
Pour expliquer les raisons de ce phénomène, il est le plus souvent invoqué une
crise énergétique, résultat d’une demande générale en augmentation du fait de la croissance des pays « émergents », tandis que les capacités de production actuelles seraient insuffisantes, pour
des raisons techniques, climatiques, politiques. Tout cela au nom de la loi de l’offre et de la demande. Une « explication » qui a pour but de masquer les responsabilités directe des trusts du
pétrole, même si elle ne parvient pas à masquer la spéculation, qui est dénoncée comme un excès immoral, une anomalie du capitalisme. Il est
indiscutable que la demande est tirée par la croissance des pays « émergents », alors que les capacités de production et de raffinage restent limitées de par les choix des trusts du pétrole. A
quoi s’ajoutent les craintes résultant de l’évaluation des réserves encore disponibles, qui font apparaître la perspective d’une « fin du pétrole » comme relativement proche. Tout comme il est
indiscutable que les spéculateurs financiers non seulement profitent de cette situation, mais y ont une large part de responsabilité du fait de leur volonté d’accumuler des profits
colossaux. Si la course à la productivité, qui accentue la demande énergétique de façon totalement anarchique, en épuise les ressources et conduit à
la catastrophe écologique est une des conséquences de la politique des classes dominantes et de leurs Etats, la spéculation en est une des composantes essentielle, organiquement liée au
capitalisme.
Tout simplement parce que les détenteurs de capitaux n’investissent dans un
processus (industriel, commercial, financier…) que dans le but d’en tirer un profit, le profit maximum. Investir, c’est spéculer sur des profits à venir, quelle que soit leur origine. « Fausser »
les lois de la « libre concurrence », organiser la pénurie, limiter l’offre pour augmenter les prix, ne sont que des moyens parmi d’autres de tirer le maximum de profits de cette spéculation. Des
pratiques qui sont la politique même des classes capitalistes.
Cette conférence de Djeddah est une illustration des conséquences de cette
politique, la crise globalisée. Elle aussi une manifestation de l’inquiétude que les conséquences économique, sociales, politiques (émeutes de la faim, manifestations contre la hausse des prix du
pétrole…) font naître dans les milieux dirigeants de la planète.
La presse y voit aussi le constat de l’impuissance des principaux acteurs.
Sentiment renforcé par le fait que, dès le lendemain du sommet, et comme pour en souligner le côté dérisoire, le pétrole est de nouveau parti à la hausse, tandis qu’en France les prix des
carburants franchissaient de nouveaux records… Mais cette « impuissance » n’est qu’un faux semblant : la crise résulte de la politique même de ceux qui prétendent la combattre, et leurs « remèdes
» ne font que l’aggraver.
La politique des classes capitalistes
La flambée des prix de l’énergie, comme de ceux des matières premières minières
et alimentaires, ne sont qu’un des aspects de la crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis bientôt un an. Crise qui est à la fois
globale, mondiale, marquée par des ébranlements boursiers planétaires, une crise bancaire et du crédit généralisée, mais qui, du moins pour l’instant, n’a pas revêtu le côté « catastrophique »
qu’avait pris une crise comme celle de 1929.
La mondialisation de l’économie, résultat d’une période de croissance qui
touche l’ensemble de la planète, et qui a vu, parmi quelques autres pays, la Chine devenir « l’usine du monde », premier exportateur mondial de pays manufacturés, est en phase d’atteindre son
apogée, mais se poursuit cependant, tandis que la crise se développe. C’est ce qui explique que malgré ses manifestations, malgré les conséquences sociales dramatiques qu’elle entraîne, la crise
n’affecte pas, du moins pour le moment, la santé des profits et de la grande bourgeoisie internationale. Bien au contraire.
Le Figaro du 25 juin, dans un article intitulé « Le monde compte dix millions de millionnaires »,
reprend les résultats d’une enquête d’une revue financière américaine. Il
pointe le fait que, malgré la crise, le nombre des personnes dont la fortune dépasse le million de dollars vient de franchir le cap des dix millions, avec des croissances très importantes sur un
an : en Inde (+ 22,7 %), en Chine (+ 20,3 %), au Brésil (+ 19,1 %)... D’autre part, la fortune globale (40 700 milliards de dollars) que se partagent ces « millionnaires » n’a cessé de croitre «
malgré les turbulences qui ont frappé les marchés financiers à partir de l’été»,
«… grâce à la flambée des matières
premières, pétrole en tête, et à la bonne résistance
des économies et des Bourses
émergentes ». Le club des « « très grandes fortunes» (détenant plus de 30 millions de dollars d’actifs financiers) comptait l’an dernier 103 320 personnes (+ 8,8 % par rapport à 2006). Et leurs
avoirs (qui pesaient 37 % des 40 700 milliards !) ont bondi de 14,5 %. ».
Et l’article conclut sur une note optimiste : « Malgré les crises
financières et boursières qui secouent la planète depuis le début de l’année, l’avenir s’annonce prometteur. La richesse des grandes fortunes devrait
croître de 7,7 % par an d’ici à 2012 »…
La crise est le produit naturel des ingrédients qui ont contribué à cette
croissance perverse. La baisse continue des revenus de la grande masse des salariés des anciens pays industrialisés sous la pression de la course au profit, de leur mise en concurrence avec les
salariés des pays pauvres, a eu pour effet de diminuer le marché solvable des principaux pays « consommateurs » de la planète : c’est désormais la récession aux Etats-Unis, principal importateur
mondial. Récession dont une des premières manifestations a été la crise du secteur de l’immobilier l’été dernier, et qui s’étend progressivement à l’ensemble de la planète.
La réponse des bourgeois et des gouvernements à la crise est de même nature que
les causes qui la nourrissent. Pour assurer leurs profits coûte que coûte, ils poursuivent sans relâche leur attaques contre les salaires, le temps de travail, les retraites, les prestations
sociales… Mis sous perfusion par les banques centrales qui cherchent à « maintenir la confiance des marchés », les financiers internationaux spéculent sur le pétrole, les matières
premières agricoles et minières, faisant leur profit sur le dos des « consommateurs », des prolétaires qui n’ont pas d’autre choix, pour se nourrir et se déplacer, que de payer le prix fort. Les
populations des pays des plus pauvres sont confrontées à la famine, le pouvoir d’achat de la population des pays plus riches ne cesse de baisser, tandis que marins-pêcheurs, paysans,
transporteurs routiers, manifestent contre une situation qui les pousse à la faillite… La santé des capitalistes va bien, certes, mais cette santé est la cause même de la crise qui ruine la
société, elle engendre la récession et prépare, de fait, la catastrophe.
De nouvelles conditions pour les luttes
Le capitalisme, aujourd’hui, atteint les limites de son développement, tant du
point de vue planétaire que dans l’exacerbation de la contradiction entre la socialisation et l’appropriation privée. Pour ne prendre qu’un exemple, la prolétarisation de millions de paysans des
pays pauvres, la disparition des agricultures vivrières que cela implique, et leur remplacement par des monocultures industrielles, participe de la division internationale du travail, d’une
socialisation des productions agricoles. Mais ce qui pourrait être un progrès technique et social se transforme en cause de famine, par le seul fait que cette évolution se fait dans le cadre de
l’appropriation privée, par les multinationales de l’agro-alimentaire, des profits tirés de l’exploitation des paysans prolétarisés des pays pauvres et de la spéculation sur le marché des
matières premières agricoles.
Le capitalisme a contribué à constituer, à l’échelle du monde, une économie
globalisée dans laquelle des millions de travailleurs collaborent à la création de produits et de services destinés à un marché international.
En exacerbant la lutte de classe menée par les capitalistes à l’ensemble de la
population laborieuse de la planète, la crise contribue à éclaircir la question des rapports sociaux, par dessus les frontières. Si les conséquences peuvent prendre des formes différentes suivant
les endroits et les secteurs de l’économie, les causes en sont facilement identifiables : la mainmise des multinationales de la finance et de l’industrie, la folie destructrice de la concurrence
et de la recherche du profit maximum. La crise rend palpable l’idée que les divisions entre les hommes ne passent pas par des frontières
géographiques mais bien par des clivages de classe, l’opposition centrale, irréductible, entre les exploiteurs et les exploités. Elle crée une solidarité de fait entre les exploités du monde
entier, et ce d’autant que chacun peut constater que les formes de lutte, relayées par les médias, sont partout les mêmes, grèves, manifestations, contestation sociale et politique dans la rue et
par les luttes.
« …s’il se laisse trop emporter par
son apparente splendeur, le capitalisme mondial risque de faire naître parmi ses propres citoyens le désir d’un socialisme mondial. Cela pourrait arriver lorsqu’un irrépressible sentiment
d’injustice s’exprimera face aux conséquences, au quotidien, des mécanismes mis en place pour la survie des
moins scrupuleux »... écrit Norika Hama, professeur dans une école de commerce japonaise, dans une tribune consacrée au G8 publiée dans les Echos…
Une politique pour les classes exploitées.
Oui, l’issue est bien un socialisme mondial.
Ce contexte politique lie les luttes quotidiennes pour la défense des intérêts
quotidiens des exploités à la perspective d’une transformation de la société. Il impose que nous nous donnions un programme qui puisse donner une cohérence politique aux luttes catégorielles
dispersées. Un programme qui soit, en même temps, un véritable programme politique, pour un changement révolutionnaire de la société, s’appuyant sur la lutte des classes réelle, la contestation
sociale qui concerne de multiples catégories sociales, salariés du public comme du privé. Et qui puisse aussi apporter ses propres réponses à la situation des petits paysans, artisans,
commerçants, voire petits patrons, étranglés par la crise. L’enjeu est de contribuer à ce que la révolte sociale, qui nait de l’exacerbation de la
lutte des classes menée par les capitalistes contre la très grande majorité de la population de la planète, se transforme en lutte des classe menée de façon consciente par les travailleurs,
contre la bourgeoisie internationale et ses Etats ; contribuer à faire en sorte que l’expérience accumulée par les travailleurs dans la lutte des classes de tous les jours se transforme en
conscience de classe, et acquière la capacité politique de mener les changements économiques, sociaux et institutionnels qui s’imposent. Et que se
construise ainsi une conscience socialiste mondialisée libérée de toutes les étroitesses nationales.
Eric Lemel