René ADDSKI a lu le livre de Roger Lenglet, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont, paru chez Fayard en mai 2008 et a rédigé la critique ci-dessous pour
Dieppe3D. Il explique que "La lecture de ce livre est nécessaire : il lève un voile sur le sujet tabou qu’est le financement des syndicats" et "dans la région dieppoise, ce
livre nous concerne aussi évidemment et peut-être plus qu’ailleurs".
Au printemps dernier, un livre sur les syndicats était publié avec peu d’échos de la part des organisations politiques se réclamant de la classe ouvrière et encore moins – mais c’est
logique ! - de la part des confédérations syndicales. Avec un tel titre, « L’argent noir des syndicats » (1), on pouvait croire au premier abord qu’il s’agissait d’un ouvrage provenant
d’auteurs bien réacs, anti-syndicalistes et issus de la presse bourgeoise.
Pas du tout, il s’agit au contraire d’un brûlot que tout militant syndical et/ou politique se battant sur des positions de lutte de classe et d’émancipation pour le prolétariat doit
absolument lire. Il s’agit en effet d’un ouvrage dénonçant la corruption des syndicats et permettant de dévoiler un certain fonctionnement du syndicalisme qui nuit à la lutte de classe, aux
luttes de défense pour des intérêts immédiats des travailleurs/ses et qui étouffe dans l’œuf tout espoir de lutte organisée de la classe ouvrière (mais aussi d’autres catégories chez les
travailleurs salariés ou non), en faisant croire que tout se règle par des moyens légaux et démocratiques (au sens bourgeois), des rencontres et des discussions au sommet où les principaux
concernés – les prolétaires - ne sont évidemment pas conviés. En gros, le livre dénonce le travail de sape des bureaucrates et de nombreux délégués syndicaux et explique les raisons de
cette dérive qui a neutralisé ces organisations de lutte et fait chuter le taux de syndicalisation en France, grâce à une étude minutieuse due à des témoignages et à des documents, dans une
époque qui devrait connaître, au contraire, de grandes mobilisations quotidiennes et non fractionnées et des luttes dans les entreprises et les quartiers pour contre-attaquer la bourgeoisie
(patronat et gouvernements en tête) et ses contre-réformes libérales et impérialistes à coups de décrets.
Au moment de la rédaction de ce livre, son trio d’auteurs ne pouvait pas avoir plus de chances car il allait se trouver en pleine actualité avec l’affaire de l’UIMM qui éclatait au grand
jour. Sans compter que ses auteurs savent de quoi ils parlent. En effet, ceux-ci se nomment Roger Lenglet, philosophe et journaliste d’investigation notamment spécialisé dans les affaires
de corruption, auteur de plusieurs ouvrages dont deux sur les multinationales de l’eau en collaboration avec Jean-Luc Touly, autre auteur de ce livre sur l’argent noir. Touly, membre
d’Attac et président de l’Association pour le Contrat Mondial de l’Eau (2), fut n°2 de la CGT chez Veolia (ex-Vivendi Générale des Eaux) avant d’être viré par son syndicat puis par la
multinationale au début 2006 après des attaques en justice par celle-ci (et autant de procès perdus) pour ses écrits et son combat pour re-municipaliser l’eau. Le troisième auteur est
Christophe Mongermont qui fut aussi délégué syndical à la Générale des Eaux puis secrétaire général des syndicats de FO en 1998 avant d’en être viré par le groupe Vivendi (devenu Veolia
depuis) en 2004 (3) avec l’aide du Ministère du Travail pour avoir combattu le système Messier et refusé de se laisser corrompre (d’autres syndicalistes de la multinationale subiront le
même sort par la suite). Ils ont d’ailleurs obtenu tous les trois des récompenses en 2006 pour leurs combats contre la corruption (dans le monde syndical mais aussi chez les élus).
Leur livre débute sur un chapitre en phase avec l’actualité. Intitulé « 45 000 patrons assurés d’avoir la paix », il explique ce qu’est l’Union des Industries et des Métiers de la
Métallurgie, branche du Medef, au nom quasiment inconnu pour beaucoup, qui n’en est pas moins la plus forte et la plus influente de la confédération patronale. Née sur les cendres du Comité
des Forges créé en 1864 par notamment le fait d’un de Wendel et d’un ancêtre du baron Seillières, elle fédère non seulement les restes de cette industrie mais aussi les entreprises de la
plasturgie, de la construction automobile, de l’électronique, du nucléaire, des équipements ferroviaires et de la construction navale, donnant presque tous les présidents du Medef et de son
ancêtre, le CNPF, depuis la seconde guerre mondiale. La corruption et les tentatives de corruption de délégués et des bureaucrates syndicaux en liant avec elles y sont dévoilées, cette
affaire n’étant qu’un révélateur sur les pratiques habituelles du patronat envers les syndicats (à l’instar de celui du financement des partis politiques il y a quelques années).
Les chapitres qui suivent ont pour sujet le fonctionnement et le financement des Comités d’Entreprise de la SNCF et d’EDF ; la situation au sein des entreprises de nettoyage où la
sous-traitance est omniprésente avec une main d’œuvre principalement féminine, précaire, immigrée ou d’origine ou issue des DOM-TOM (confettis coloniaux de la France) où corruption et
répression sont partout car, dans ce secteur, les conditions de travail, les horaires, les problèmes de santé (dus aux produits utilisés) et les salaires justifient des tentatives
d’organisation qui ont donné de nombreuses grèves ces dernières années (parfois très longues et très dures); et Dalkia, filiale d’EDF et de Veolia.
Les autres de cette première partie sont consacrés aux « licenciements » à prix d’or de syndicalistes et à leur éviction quand ils sont jugés trop actifs, donc trop combatifs, en donnant
des exemples sur les positions courageuses de certain(e)s syndicalistes qui, en refusant ces pratiques, se retrouvent alors confrontés à une répression et à un harcèlement quotidiens d’une
ampleur qui laissent toujours des séquelles... ; aux financements des caisses de formation professionnelle ; aux mairies qui abritent les syndicats (avec détournements d’argent et emplois
fictifs à la clé) ; aux diverses sources de financement des syndicats (publicité, fuites budgétaires, fonds et subventions détournés) ; à la FNSEA dans un chapitre très instructif sur la
politique agricole qui sévit depuis des années et pousse à la faillite et à la disparition des petits exploitants dans un processus qui s’accélère ; et, enfin, au système des cotisations
syndicales et donc au financement des confédérations (grâce à une loi datant de 1884 !) dans un pays qui connaît l’un des plus bas taux de syndicalisation de l’Europe et où depuis les
années 70, le nombres de syndiqués a été divisé par 5 alors que dans le même temps les « syndicalistes professionnels » (selon la très bonne formule des auteurs !) ont vu leur nombre être
multiplié par le même chiffre…
La seconde partie est divisée en trois chapitres. Le premier est consacré aux effectifs des syndicats et le suivant à la contre-réforme de la carte judiciaire qui a fait grand bruit, il y a
quelques mois, par, notamment, des manifestations de magistrats. Mais les auteurs ont le mérite de dénoncer ou de rappeler le fait qu’elle cachait dans le même temps la réduction de 25 % du
nombre déjà insuffisant de conseils des prud’hommes (avec limitation des conditions d’exercice du mandat prudhommal) dans une période où ils sont de plus en plus sollicités et cela grâce au
silence des journalistes à la complicité – du fait de leur indifférence au sujet - des bureaucrates syndicaux. Quant au troisième, il fait état des « guerres intestines » dans les syndicats
et les confédérations montrant qu’il y a et qu’il restera toujours des syndicalistes refusant de se laisser acheter et corrompre par le patronat et les différents pouvoirs et qui
continueront leur combat contre le patronat et leurs collabos, évoquant dans le même temps la répression que subirent les deux auteurs ex-syndicalistes à la Générale des Eaux.
Arrive la conclusion d’actualité puisque, lors de sa rédaction, un scandale identique à celui de l’UIMM éclatait en Allemagne avec le procès de syndicalistes de Volkswagen qui avaient été
soudoyés par leur patronat (dessous-de-table, vacances dans des palaces, prostituées et alcool…). Mais elle met parfaitement en relief que « la désyndicalisation paraît plutôt découler des
effets pervers du système de perfusion qui ont éloignés les organisations du terrain quotidien des salariés » et que « cette situation de pourrissement ne donne pas seulement lieu à une
désaffection des salariés, mais à une instrumentalisation des syndicats par les entreprises et les gouvernements qui parviennent ainsi à obtenir une « paix sociale » à discrétion et des
accords a minima, moyennant une éviction des syndicalistes qui refusent de se plier », qu’il faut « relancer la culture syndicale à la base… ».
En bref, le livre démontre qu’il faut se battre contre le « syndicalisme de négociation » et revenir à un syndicalisme de lutte indépendant malgré les difficultés et le long travail que
cela demande. Mais y a-t-il d’autres choix dans cette période très difficile qui voit l’augmentation de la paupérisation du fait de la hausse continuelle du coût de la vie, de
l’omniprésence de la précarité et de la destruction d’avantages sociaux (retraites, sécurité sociale, système éducatif…) suite à des contre-réformes qui seraient passées si le PS était au
pouvoir avec ses « amis » (mais de manière moins brutale) et qui n’ont pas été combattues par les directions syndicales (dont certaines tentent de nous faire croire qu’elles ont été trahies
par le Medef et l’équipe de Sarkozy-Fillon) ? Et où le paysage politique connaît des restructurations à l’instar de l’économie ?
La lecture de ce livre est donc nécessaire car s’il lève un voile sur le sujet tabou qu’est le financement des syndicats et qu’il démontre que l’argent est le nerf de toute guerre et donc
de la guerre de classe, il démontre que la corruption au sein de la première arme de défense des esclaves du capitalisme – le syndicat – existe non seulement dans le privé mais aussi dans
les services publics (ou du moins de ce qu’il en reste) mais aussi dans d’autres patrons comme au sein des mairies et notamment celles où les patrons sont des « camarades » et vice-versa.
Dans la région dieppoise, ce livre nous concerne aussi évidemment et peut-être plus qu’ailleurs. En effet, il nous parle de Veolia (qui bâtit et étend son empire sur les cendres de Vivendi
en grignotant un à un les services publics et certaines sociétés grâce notamment au système de la décentralisation) et donc de Dalkia (l’une des rares filiales de Veolia qui a conservé son
nom pour l’instant), d’EDF (très présent avec ses deux centrales nucléaires dans la région), de la SNCF (rappelons-nous la bataille qu’ont dû livrer des usagers, des citoyens et de certains
élus pour développer la ligne de chemin de fer !), de la FNSEA (nous sommes dans une des régions les plus riches dans le secteur agricole et la situation empire chaque année pour les
petites exploitations qui survivent) et parce que le chapitre consacré à l’hébergement des syndicats par les mairies est presque exclusivement basé sur une affaire locale qui rappellera
sans doute de mauvais souvenirs à certains…).
Un ouvrage à lire absolument parce qu’il dénonce des pratiques scandaleuses et une bureaucratie vendue mais tout en donnant brièvement des remèdes appelant à « relancer la culture syndicale
à la base… » (6). Et parce qu’il n’est pas contre le syndicalisme mais contre le « syndicalisme de négociation » et redonne de l’espoir en démontrant que si le sommet des grandes centrales
syndicales est corrompue et qu’une partie des délégués l’est aussi, la majorité des effectifs syndicaux ne l’est pas et fait son travail. C’est pourquoi, il doit être lu avec une pensée
pour ses auteurs et ceux et celles qui ont témoigné et qui ont subi, subissent ou subiront le harcèlement et la répression de leurs exploiteurs et du système et ont dû faire face aux
tentatives de corruption ou devront y faire face un jour ou l’autre.,
Possible commande librairie la BRECHE
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