L’article sur la « position commune » CGT-CFDT en matière de représentativité syndicale, écrit par la commission nationale ouvrière (CNO) de la LCR,
suscite le débat. Voici le point de vue de Dominique Mezzi, membre de la CNO.
Nul ne peut totalement prédire ce qui va se passer en juin 2008, en réaction à la provocation sarkozyenne sur les 35 heures, simultanément à la destruction
des outils de politique publique (RGPP) et aux statuts du travail agressés sur tous les fronts (contrat de travail, statuts publics, démantèlement du salaire). L’accumulation des facteurs de
crise peut déboucher sur une situation ouverte.
Dans ce cadre, la question syndicale est centrale. Or, le syndicalisme est un train de vivre un véritable big-bang, conséquence de la « position
commune » adoptée, le 9 avril, par la CGT, la CFDT et le Medef. Mais, contrairement à ce qui était espéré, ce chamboulement ne se fait pas à froid. Dans une telle période, les orientations
défendues par les forces actives de la bataille sont donc décisives.
Le but de cette « controverse » est de discuter certains éléments erronés ou caricaturaux exprimés dans certaines prises de position publiques de
la LCR. Et d’apporter des pistes nouvelles de propositions. Dans Rouge n° 2253 (22 mai 2008), l’analyse présentée par la commission nationale ouvrière de la LCR, concernant la
représentativité syndicale, contient beaucoup d’éléments que je partage. La « position commune » est un pari du pouvoir et du Medef, consistant à échanger la « pacification »
des relations sociales, sans heurt et sans lutte, contre la concession de fonder la légitimité des syndicats à représenter le salariat à partir du suffrage, et non par une
« présomption » donnée par un décret d’État. Ce pari s’appuie sur des signes déjà donnés par la confédération CGT, prête à aller loin pour faire reconnaître son rôle central. On se
rappelle que Bernard Thibault a voulu négocier la fin de la grève des cheminots de novembre 2007, avant même qu’elle ne commence, en contradiction avec l’orientation officielle mettant le rapport
de force avant la négociation. Cet épisode fait suite à la volonté de « dépolitiser » la confrontation revendicative, la CGT expliquant, au lendemain du 6 mai 2007, qu’elle n’était
« ni dans l’opposition, ni dans l’accompagnement ».
Basculement possible
Pour autant, le pari du pouvoir n’est pas encore gagné et il ne faut pas faire comme si tout était joué d’avance. L’article de Rouge explique que
« les directions de la CGT et de la CFDT peuvent se retrouver sur le même terrain que l’aile marchante du patronat ». C’est un peu… rapide. Mais, surtout, le 29 mai, dans la
contribution de la LCR versée au débat en vue de la rencontre des comités pour le nouveau parti anticapitaliste (NPA), on lit ceci : « Les directions des principales confédérations
syndicales […] acceptent l’agenda des contre-réformes patronales, accompagnent les mesures rétrogrades, surfent parfois sur la contestation, mais sans jamais la susciter. »
Dans cette phrase, clairement et délibérément, CGT, CFDT, FO, CGC, CFTC sont mises dans le même sac. Là est le désaccord.
Il n’est pas possible de comprendre les confrontations s’étant succédé depuis 1995 avec ce schéma réducteur, qui ne peut aboutir qu’à des pratiques de pure
dénonciation impuissante. En 1995, deux lignes partageaient le syndicalisme : ceux qui étaient dans la rue (CGT, FO, FSU, les SUD, la minorité CFDT) et ceux qui s’affrontaient au mouvement,
derrière la direction de la CFDT. Depuis, avec des évolutions certes négatives, ce partage s’est reproduit dans beaucoup d’occasions. Citons le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997, le refus du
Pare en 2000, la bataille des retraites de 2003 (où la CFDT a signé le plan Fillon prévoyant les 41 annuités), la lutte des intermittents du spectacle de juillet 2003. La CGT a ensuite pratiqué
le « diagnostic partagé » sur l’assurance maladie (sans approuver la contre-réforme), puis elle a laissé faire la privatisation d’EDF. Sa direction a été fortement mise en minorité sur
le traité constitutionnel européen. À l’automne 2007, elle a participé aux négociations sur le contrat de travail, mais elle n’a pas signé, ce qui aurait été le franchissement du
Rubicon.
Enfin, elle s’est précipitée, au détriment de la plus élémentaire démocratie, pour faire savoir à Sarkozy qu’elle entrait dans une nouvelle ère syndicale,
avec la « position commune ». La CGT est donc sur une ligne de bascule, mais les choses ne sont pas jouées. Elle demeure un syndicat revendicatif, voire de « conquêtes
sociales », mot d’ordre officiel des congrès. La CFDT est profondément différente dans son projet majoritaire. Elle se vit comme un corps intermédiaire, un médiateur, chargé d’arbitrer pour
le salariat les contraintes du capitalisme. Elle estime que, si ce travail n’est pas fait, la société ne peut pas être « régulée ». Son mot d’ordre est « donnant
donnant ».
Le danger existe d’un basculement de la CGT vers une ligne de pente CGT-CFDT. La négociation de la représentativité a aussi pour fonction de sélectionner,
in fine, le nombre des confédérations. Tout est fait pour entraver le développement du « nouveau », hors des grosses structures. Ce qui est une atteinte à la liberté syndicale
élémentaire, scandaleuse lorsqu’il s’agit de construire du collectif dans les petites entreprises, « oubliées » de la négociation.
Rassembler les expériences
Mais si une droite syndicale cherche à se fédérer, la gauche syndicale ne doit pas rester les deux pieds dans le même soulier. On compte aujourd’hui cinq
confédérations et trois regroupements nationaux. Il n’y a pourtant pas huit stratégies en concurrence dans les luttes. Pas plus d’ailleurs que dans la vie politique à gauche, où les clivages
partagent ceux qui s’adaptent et ceux qui s’opposent et résistent. Dans les luttes concrètes, très souvent, se retrouvent du même côté les syndicats CGT, FSU, Solidaires, et souvent aussi FO.
Voire au-delà, lorsque le rapport de force est grand (CPE). Il est donc aujourd’hui urgent, encore plus qu’après 1995, de rassembler ce syndicalisme de résistance, à la fois sur le terrain, mais
aussi en structuration nationale, ce que l’article de Rouge du 22 mai esquisse à peine. On ne résiste pas au sarkozysme par des fronts syndicaux à la base. Il faut viser une perspective
nationale.
D’ores et déjà, dans la fonction publique notamment, des équipes syndicales, y compris nationalement, ont pris l’habitude de converger (appel CGT, FSU,
Solidaires pour le 10 juin contre la RGPP). Bernard Thibault a voulu couper court à de telles idées, en déclarant péremptoirement (Le Monde) qu’il n’existait aucun projet en ce sens. À
notre connaissance, cette affirmation n’a pas été débattue dans la CGT, pas plus que les jugements à l’emporte-pièce sur les débats internes de la FSU (traversée de « trois
courants ») ou de Solidaires (« jaloux de la CGT »). La direction de la CGT veut refermer bureaucratiquement la porte d’entrée du syndicalisme autour de deux ou trois
« grands ».
Mais toute la situation et la nouvelle donne mondiale nécessitent la refondation d’une nouvelle confédération unitaire de lutte (ou d’un regroupement
interprofessionnel), rassemblant les expériences syndicales éparpillées, en commençant par la structuration permanente d’espaces de débats et d’actions partout où les pratiques le permettent,
déjà dans les faits. L’année 2008 peut être aussi l’année zéro de cette refondation, à moins de laisser les reculs s’ajouter aux reculs.
Dominique Mezzi