L'individu performant, dans le monde social contemporain
Ce texte n'est pas le fruit
d'une longue recherche, il n'a pas non plus pour ambition de donner une vérité révélée sur le monde contemporain. Il s'agit simplement de proposer une réflexion qui doit être
débattue.
La question du "lien social" et de la société
individualisée:
Si l'on se réfère à l'histoire des sociétés avec état (que je limiterai aux
sociétés "occidentales" de notre "ère"), il est possible de déterminer trois types de sociétés (plus ou moins) successives:
-
Des sociétés de l'indifférenciation (dites holistes) ou "l'identité collective" était le seul repère, où
la notion d'individu était méconnue.
-
Des sociétés différenciées: la progression de la division sociale du travail "crée" des individus avec des situation particulières dans le monde social.
C'est-à-dire des personnes sensiblement différentes de leurs congénères, des individus qui ont des préoccupations et, surtout, des responsabilités
qui leurs sont propres (et que la grande majorité n'a pas).
-
Des sociétés individualisées (voire "ultra" individualisée comme notre société contemporaine) qui placent le particularisme individuel au centre du social où un
agent social se caractérise d'abord par sa différence à l'autre (phénomène de distinction: le besoin d'être différencié pour être reconnu).
Des évolutions anthropologiques aussi capitales que l'avènement d'une société "ultra" individualisée ne se font pas sans
douleur car ces évolutions ne sont pas "naturelles" ou historiquement programmées (le supposé "sens de l'histoire"), elles sont le résultat de processus complexes. Un de ces processus (dans notre
période immédiate des trente dernières années) tient au fait que les dominants tentent d'imposer de nouvelles représentations de l'individu (les leurs) au plus grand nombre. Pour se faire les
institutions dominantes construisent de nouvelles sphères de socialisation agissant sur les groupes sociaux dominés (notamment par le biais du monde du travail: voir les transformations radicales
du "nouveau management" d'entreprise1 qui débutent dans les années 80 et qui se poursuivent aujourd'hui). Ces tentatives de transformation des sphères de socialisation s'accompagnent
d'un discours martelé à haute dose et relayé par un grand nombre d'espaces sociaux (entreprises, lieux de loisirs, l'ensemble des médias, certaines productions artistiques…). Dans un premier
temps, ces nouvelles représentations se heurtent à une "réalité du monde" assez différente du discours et des attentes des groupes sociaux dominants (le "discours" ne correspond guère à la
"réalité"). Puis, petit à petit2, il est possible (mais peut être pas inéluctable) que la "réalité" se mette à ressembler aux représentations que les dominants partagent et
promeuvent2.
Le "culte de la différence", à l'œuvre dans notre société "occidentale" contemporaine, exacerbe une prise de conscience de soi
de la part des individus (en tant qu'êtres irréductibles et singuliers). Tant que les agents sociaux ne se différenciaient pas, ou peu, le lien social allait de soi. La question ne se posait pas.
Un lien préexistant liait mécaniquement (Durkheim) tous les arrivants dans le monde social (conscience que la survie des uns dépendait étroitement de la survie des autres, croyances,
rites, travail commun…). A partir du moment où chaque individu se différencie de son voisin, et revendique cette différence, se pose la question du vivre ensemble: qu'est ce qui va faire qu'il
est possible de s'entendre et de se supporter3?
L'homme "moderne" est donc obligé de contractualiser pour vivre en société (inventer des règles et les négocier): contrats du travail, contrats d'échanges économiques, contrats politiques… mais
le contrat est il un lien suffisant à la vie en commun? La question est terriblement complexe, de savants débats animent les sciences sociales à ce propos. Mais sans présager de l'avenir, il me
semble probable que la seule contractualisation est, au moins à ce jour, incapable d'assurer à elle seule le lien social. La culture (au sens le plus large du terme) est une dimension
déterminante du lien social qui ne dépend pas de la simple contractualisation (d'autres dimensions, non contractualisées, du lien social sont certainement à prendre également en
compte).
Or, il
semble que les dimensions non contractualisées du "lien social" soient aujourd'hui délaissées, sinon rejetées, par cette idéologie "néolibérale". Seule la dimension du lien contractuel est
aujourd'hui valorisée, ce qui pose un vrai problème de "cohésion sociale", comme disent les politiciens. Mais si on observe plus précisément, on s'aperçoit que ce n'est même pas la dimension
contractuelle, dans son ensemble, qui est valorisée mais seulement un type particulier de contractualisation: le contrat économique. L'ensemble du "lien social" devrait être assujetti à cet
aspect prioritaire (voire exclusif) de l'activité humaine: l'échange commercial comme "mètre étalon" de tout échange social, de tous liens sociaux (l'OMC comme organisme central de la cohésion du
monde).
"L'individu performant":
Le
commerce généralisé et systématisé, produisant une plus-value croissant sans cesse (capitalisme) semble impliquer la concurrence qui
elle-même semble réclamer de la performance (maître mot du capitalisme contemporain) et cette performance exige une responsabilisation accrue de chacun. Responsabilité qui ne peut être réalisée
que grâce à une individualisation poussée du monde de l'entreprise (et du monde social dans son ensemble). Nous assistons alors à une instrumentalisation du processus d'individualisation: le
discours dominant a opéré un lent et très subtil glissement de la notion de "créativité individuelle" (revendiquée par une partie des salariés, notamment en mai 68) à la notion de "performance
individuelle4" (au service de la productivité dans l'entreprise). Au travers du "coaching" on peut voir comment l'individu (et son individualité) est soumis à la performance: en
s'appuyant sur les psychologies comportementalistes, le "coatching" se présente comme une aide au développement de la personne (développer sa créativité) mais il s'agit là d'un leurre car le
problème des psychologies comportementalistes c'est qu'elles ont tendance à nier le sujet donc tendance à nier une créativité propre à chacun. Le
"coaching" est en fait une adaptation de l'individu au monde (psychologie comportementaliste). Au monde de l'entreprise. Faire que l'individu se conçoive lui-même comme une micro entreprise donc
comme un individu performant plutôt que créatif.
Chaque individu est donc sommé de devenir performant. Avec cette idéologie, les institutions (l'école notamment) peuvent
éventuellement aider l'individu à devenir performant (acquisition "d'outils") mais, in fine, l'individu est bien le seul responsable de son "parcours de vie" (de ses réussites ou échecs
professionnels mais aussi sociaux, familiaux, sentimentaux…). A l'individu de "valoriser" ce qu'il a appris théoriquement -à l'école- ou empiriquement -dans l'entreprise ou ailleurs-, d'où la
notion nouvelle "d'égalité des chances" en lieu et place de la notion d'égalité. Le monde social (à travers ses institutions) donnerait à chacun les mêmes possibilités d'apprendre et de se
"développer", ensuite à chacun de transformer ces "acquis" en performance.
Si le "gagnant" est, soi disant, responsable de sa réussite, le "perdant" deviendrait alors responsable de sa propre pauvreté
(la encore, la rhétorique du "gagnant et du "perdant" n'est pas neutre idéologiquement). Avec de telles représentations du monde social, la responsabilité politique change: "L'état social", qui
tend à devenir un "état régalien", se détache progressivement d'une de ses missions essentielles qui était de redistribuer une part (même minime) des richesses à l'ensemble de la société. La
nouvelle mission sociale d'un état devenu "régalien" se cantonnerait à produire les conditions d'une "égalité des chances" (avec des institutions -éventuellement privatisée- adaptées). A chacun
de saisir cette chance (égale pour tous). Cette idéologie de "l'égalité des chances" est bien évidemment une ignorance -ou, parfois, un simulacre d'ignorance- des déterminants sociaux qui distribuent inégalement les possibilités de la "réussite sociale" (les capitaux culturels et
sociaux). C'est également une négation des responsabilités collectives (politiques) dans la prise en compte (et la constitution) des groupes sociaux dominés.
Dans ces conditions, le pauvre ne pourrait s'en prendre qu'à lui-même et il deviendrait même condamnable en cas de tentative
de faire porter sur d'autres la responsabilité de son "échec". Les "classes" populaires peuvent (à juste titre) rejeter la responsabilité de leur pauvreté sur les patrons ou (et) les politiques,
dans le cas de contestation sociale mais aujourd'hui les condamnations de l'action syndicale (condamnations parfois pénales, c'est un fait relativement récent) sont de plus en plus appuyées: la
grève devient un "crime" contre le bon fonctionnement de l'entreprise et donc plus largement du monde social. Le prolétariat le plus "dominé" ne peut, également avec raison, se résoudre à se
sentir totalement responsable de sa position ultra dominée mais il identifie difficilement les causes de sa situation et surtout il ne dispose pas des ressources collectives (syndicales
notamment) pour se retourner contre les groupes sociaux dominants. Il arrive qu'il s'attaque parfois à des cibles plus ou moins aléatoires (la police, les pompiers, plus rarement l'école et tout
ce qui peut être assimilé à de l'institution… mais aussi les émigrés, voire les immeubles voisins…). Les condamnations morales ou (et) judiciaires sont alors sans appel (sans recherche des
"rouages réels" qui ont provoqué de telles actions de rébellion). Les individus composant les "classes populaires" sont donc nécessairement condamnés (y compris par certains de leurs
pairs5)! Avec de telles représentations du monde social, lorsqu'un pauvre6 commet un des actes délictueux évoqués supra, cet acte ne peut être considéré comme une rébellion
(fut elle dévoyée), il ne peut être perçu que comme une volonté illégitime de reporter sa souffrance (issue de son propre "échec") sur d'autres, qu'il accuse bien imprudemment, et à tord. Cet
individu serait donc responsable de ses propres souffrances et de celles qu'il impose, en retour, aux autre.
Le pauvre serait responsable et donc potentiellement coupable (tout le monde n'est pas ministre de la santé face à des
problèmes de sang contaminé) s'il ose reporter (y compris politiquement) sur d'autres ses propres problèmes. La seule intervention possible auprès du pauvre (le pauvre est un inadapté, donc un
déviant potentiel) serait l'éviction de celui-ci du monde social (éviction de l'entreprise -manque de performance-, cantonnement dans un quartier populaire -dit "zone d'exclusion"-, voire
enfermement -prison-…). Le terme "d'exclu" pour qualifier le pauvre n'est pas anodin: il permet de justifier, par avance l'isolement dans lequel on va le placer (l'individu serait responsable,
dans un premier temps, de sa propre "exclusion sociale". Il serait devenu par lui-même exclu. Ceci justifiant le fait qu'on puisse, dans une seconde étape, l'isoler territorialement). Le recours
au thème de "l'exclusion" a, me semble t-il, d'autres effets sociaux que je ne développerai pas ici: la stigmatisation (selon les analyses de E.
Goffman -sociologue-).
De l'état social à l'état pénal (titre emprunté à Loïc Wacquant -sociologue-):
La préservation du "lien social" dépendrait donc uniquement de la capacité d'une société à se préserver (à écarter) des
individus déviants. Une part des déviants serait constituée par des "tricheurs" qui, pour "réussir" sont prêts à employer des stratégies hors contrat, illégales ( mafias, délinquants en col
blanc…), l'autre part (de loin la plus nombreuse) serait constituée des "exclus, inadaptés au monde", potentiellement dangereux. Il n'y a pas (plus), avec cette représentation, de causes sociales
à "l'inadaptation".
Regarder l'évolution du "travail social" en France depuis une trentaine d'années permet de se rendre compte des changements de
représentations dominantes sur la pauvreté. Donner une explication sociologique et (ou) psychologique à la "marginalité", à la pauvreté (et non pas à "l'exclusion") était la base même du "travail
social" (tenter de comprendre comment était générée l'inégalité des ressources symboliques, culturelles et sociales pour tenter de remédier au mieux à la situations des usagers des services
sociaux). Avec la figure de "l'exclu, inadapté au monde", il n'y a plus de tentative d'explication de la soit disante "inadaptation": seule compte la, très hypothétique, ré-adaptation (on dit
réinsertion) de "l'exclu" ou (et c'est pratiquement toujours le cas) son éviction du social, sans avoir le temps d'essayer de comprendre les "rouages" des situations. Les institutions de
"ré-insertion" pratiquent, de fait, plus un regroupement (un marquage) de "l'exclusion" qu'une véritable tentative "d'intégration". Par exemple: environ 13% des "rmistes" ont obtenu un emploi
aidé, donc précaire, en 2003 -source Dares-. (Je ne possède pas les statistiques de ceux qui trouvent un emploi "stable" mais on sait que les "rmistes" n'accèdent pas, ou très marginalement, aux
emplois de l'entreprise privée -source Dares- et que les emplois du monde associatif et de la fonction publique sont quasi exclusivement des emplois aidés, donc précaires). Ce qui veut dire que
la quasi-totalité de ces "rmistes" retrouverons leur statut (minima sociaux) quelques mois après leur "embauche" (au mieux, quelques années après). Robert Castel (sociologue) parle d'une
"condamnation à l'insertion perpétuelle". Le propos n'est pas ici, d'accuser le "travailleur social" qui est tributaire de son nouveau cadre
professionnel et idéologique (et de choix économiques et politiques qui le dépasse) mais de montrer, à travers une des dimensions de la "réalité"
du travail "d'insertion", qu'un des principaux effets de la "ré-insertion" est la stigmatisation des populations les plus pauvres.
D'autre part, dans la mesure où la mission du "travail social" tend de plus en plus, aujourd'hui, à se réduire à une mission
de lien social (politique de la ville oblige), le "travailleur social" tendra à devenir progressivement mais inéluctablement un agent de repérage des déviants à écarter de ce monde social à la
recherche inlassable de liens. Un auxiliaire des forces dominantes: auxiliaire des directions d'entreprises (G.R.H.) dans le cas des A.S. d'entreprise, auxiliaire des institutions politiques dans
le cas des agents territoriaux (notamment politique de la ville), voire auxiliaire de police dans le cas des "travailleurs de terrains" en "zones sensibles" (par exemple: obligation faite aux
"travailleurs sociaux" de donner à leur chef de service les informations qu'ils ont pu recueillir sur leurs usagers. Ou encore l'obligation de signaler au maire, ou à ses services, les individus
potentiellement délinquants).
Le plus souvent le "travailleur social" fera office de flic symbolique (pour reprendre la formule de P. Bourdieu),
c'est-à-dire qu'il tentera, au travers des violences symboliques12, de maintenir les "exclus" dans un isolement territorial, familial… qui évite l'utilisation de l'enfermement
et de la force physique.
Une individualité inquiète voire pathologique, une individualité
sérielle:
Je
l'ai évoqué en introduction, le processus d'individualisation n'est pas "naturel", il n'est pas non plus le fruit d'un "sens (univoque) de l'histoire". Cette individualisation est le résultat
d'un "travail" social (souvent inconscient et jamais acquis): de changements progressifs des sphères de socialisation, de répétition de discours performatifs (discours qui finissent par faire advenir ce dont ils parlent)… L'individualisme est donc, paradoxalement (en apparence) une norme. Les
institutions (écoles, entreprises, état…) nous "forment" nous "façonnent" en individus.
Pour nombre de chercheurs (dont Marx -et bien d'autres, non marxistes-) le capitalisme a contribué à généraliser
l'individuation du social mais cette individuation aurait pu privilégier de nombreux aspects différents de la personne individuée: hédonisme, créativité, altruisme (il n'y a pas d'altruisme sans
individualité. L'holisme n'est pas un altruisme), égoïsme… Il se trouve que le capitalisme a favorisé l'émergence de "l'individu performant" (surtout ces trente dernières années, depuis le recul
de l'état social8).
J'ai dit, (note 4), que le capitalisme ne se bâtissait pas sur la concurrence, en fait, il y a bien concurrence mais pas
concurrences entre les entreprises dominantes. Il y a concurrence entre les individus. Cette concurrence entre individus n'est pas basée sur la créativité des personnes mais à l'inverse, sur leur
capacité d'adaptation à la demande de l'entreprise, la productivité (voir le "coaching" déjà évoqué). Cette compétition exacerbée entre individus semble très pathogène: que la personne soit en
phase de réussite ou d'échec, l'inquiétude est permanente car il y a risque permanent. La norme de la performance semble changer (depuis une quinzaine d'années) les pathologies psychiques. Les
névroses (ou pour aller vite, la difficulté d'être soi), cause première des consultations chez les psychologues ou psychanalystes dans les années
1960 - 70 laisse la place aux pathologies liées à la dépression (la fatigue d'être soi -titre d'un
livre de A. Ehrenberg9-), en constante augmentation.
Si les pathologie liées aux formes particulières de l'individuation actuelle sont effectivement en augmentation constante,
alors les individus subissent ces injonctions nouvelles d'être soi. Et s'ils les subissent sans les rejeter, c'est que ces formes nouvelles sont plus
fortes qu'eux: ces nouvelles injonctions sont donc des normes. Des normes suffisamment puissantes pour rendre malade. Des normes si puissantes
qu'elles provoque une individualisation sérielle (la même pour tous): nos façons d'être différents (d'être soi) sont codifiées, marquées: certains
groupes de jeunes pour se "démarquer" portent des… marques! "Nike" nous dit "just do it" (slogan révolutionnaire des années 1970 aux Etats-Unis), la révolte devient donc une simple distinction
sans autre effets que de d'être vu (repéré comme un soi-même… finalement identiques aux autres). Cette façon de vouloir se "démarquer" (se
distinguer) pourrait être une tentative (vouée à l'échec) d'échapper à cette sérialité de l'individu moderne?
Des sociétés du total?
"L'uniforme de l'individualité contemporaine" nous entraînerait donc vers un rejet de l'autre puisque, paradoxe, la bonne individualité devrait être la même pour tous (la performance). Le non
performant, responsable de tous nos maux: le pauvre incarné, notamment, dans la figure de "l'exclu" serait donc le proscrit (la "classe dangereuse" du XIX° siècle). Dans ce cas, il est normale
que la société rejette ou condamne les fauteurs de troubles responsables du manque de "cohésion sociale" (encore une fois: un terme éminemment idéologique, voire politicien). Derrière la
"cohésion du social" ni aurait il pas un souhait de cohérence du social? La recherche éperdue du consensus10 comme seul lien possible dans une société individualisée c'est, d'une part
faire fi de tout rapport de classe (ignorer les inégalités sociales) mais c'est aussi prendre le risque d'une société arrêtée (la "fin de l'histoire" -Fukuyama), d'une société du "total" capable
d'exclure toute dissidence, tout esprit critique… Big Brother n'est pas un chef solitaire et incontestable, c'est une société "totalisée" qui a perdu irrémédiablement toute possibilité de sens
critique.
Un Nicolas Sarkozy qui engage des "contre - réformes" liberticides est
très certainement dangereux… mais n'est ce pas considérablement plus dangereux quand celui-ci est élu (légitimé) par une majorité des électeurs français?
La peur pathologique du lendemain qui légitime les chefs les plus fous,
n'est elle pas plus dangereuse que la crainte qu'inspire le plus fou des chef, si des questions se posent sur sa légitimité de chef?
1/ Il s'agit d'une organisation nouvelle du travail où l'individu devient le
centre du dispositif (la notion de travail d'équipe est dévaluée dans les discours et, partiellement, dans la pratique au profit d'une valorisation de la "performance"
individuelle.
2/ Notons que les discours, même dominants, ne semblent pas
permettre, à eux seuls, des changements de représentation. Ces discours doivent être accompagnés de changements réels (progressifs) des sphères de socialisation (des pratiques). Une part de la
réalité façonne les représentations et les représentations (mis en discours par les dominats) façonnent une part de la réalité.
3/ Il n'est pas question ici d'assimiler la notion d'individu à une "valeur" négative".
L'individualisation des agents sociaux est, à mon sens, une dimension positive. On peut toujours regretter cette individualisation du social, comme le fait la "vulgate" marxiste (aujourd'hui
heureusement minoritaire au sein même de la "mouvance marxiste") pour autant l'individu est, de fait, au centre de notre société contemporaine (qu'on le déplore ou qu'on s'en
réjouisse).
4/ Ce glissement de la notion de créativité individuelle à la
notion de performance individuelle est probablement due (au moins partiellement) à la spécificité du commerce de type capitaliste (le commerce existait avant l'avènement du capitalisme). Les
théories (et idéologies) libérales, que le capitalisme instrumentalise (plus ou moins inconsciemment) pour justifier son action, prônent effectivement la concurrence comme modèle de
développement. Mais dans son fonctionnement "réel" le capitalisme ne met pas en oeuvre cette concurrence (ou que très partiellement, en fonction des intérêts du moment). Au contraire, le
capitalisme induit principalement, à terme, du monopole: de l'entente formalisée ou tacite entre entreprises dominantes (aujourd'hui: multinationales).
La créativité pourrait (peut être?) être le moteur d'une "saine
concurrence", si la concurrence se jouait dans un monde social "neutre", sans rapports de dominations, c'est à dire sans autres pressions que la "beauté du geste concurrentiel" comme acte pur de
création. Comme devrait être le sport… (on voit bien que même pour le sport, cela ne marche pas tout à fait car le sport se joue, lui aussi, dans un environnement social qui génère (et subit)
d'autres intérêts que le sport lui-même. Le plaisir de la "saine compétition" est loin d'être le seul moteur du sport). Le capitalisme n'a donc pas besoin, en priorité, de créativité (saine
émulation) mais de performance car le capitalisme privilégie, avant tout, la productivité.
5/ Pour qu'une "classe" dominée puisse, en tant que "classe", identifier (plus ou moins) clairement
les rapports de domination, il est nécessaire que des institutions, issues de cette "classe" (associations, partis, syndicats…) puissent
débroussailler les arcanes très complexes de ces mécanismes. Sans ces institutions, les chances individuelles de compréhension des enjeux sont très aléatoires et le risque de voir les individus
issus des "classes populaires" adhérer à n'importe quelles opinions y compris aux "thèses" de l'idéologie dominante, n'est pas nul. (L'institutionnalisation des organisations populaires pose
aussi des risques. Problèmes que je n'aborderai pas ici).
6/ Qu'il s'agisse d'un ou de plusieurs individus, c'est toujours un processus social qui est à l'œuvre
dans la pauvreté, mais la dimension collective n'est quasiment plus jamais prise en compte dans le discours dominant sur la pauvreté.
7/ La violence symbolique est un concept bourdieusien qui tente d'expliquer pourquoi les dominés ne se révoltent pas contre les dominants même en l'absence de répression physique.
Une violence symbolique est une violence (dans la mesure où elle contraint) qui n'est pourtant
perçue par personne comme une violence: ni par celui qui fait violence, ni par celui qui la subit. Par exemple, l'école serait un lieu de classement social qui n'agirait pas (ou très peu) par la
contrainte physique mais qui pourtant assignerait les agents sociaux à des places qui leurs sont socialement imposées: les réussites ou les échecs scolaires ne seraient pas le seul fruit d'un bon
ou mauvais travail des élèves, ils ne seraient pas non plus dus au hasard. Des dispositions sociales prédétermineraient partiellement les résultats scolaires et l'éducation
nationale effectuerait, dès les premières années, un tri en fonction de ces pré-dispositions. Ce classement, justifié par une croyance dans le "don
scolaire" (le hasard -ou les mystères de la génétique- distribuerait de façon aléatoire les capacités à apprendre), s'opèrerait sans que les acteurs (enseignants comme élèves)- n'aient conscience
de subir une classification sociale. Il est d'autant plus aisé pour des enseignants, des "travailleurs sociaux"… "d'utiliser" cette violence
symbolique, qu'elle n'est pas décodée comme telle. Si l'on ne peut réduire l'école qu'à cette seule dimension de violence symbolique, il me semble que cette dimension ne peut, cependant, pas être écartée… et méconnue.
8/ Robert Castel(sociologue) nous montre que la période
de l'état social a été un moment de sécurisation de l'individu "accalmie" dans la mise en concurrence des individus (en réaction à une
exploitation capitaliste trop forte) et que la disparition progressive de cet état social replonge l'individu dans une insécurité (sociale) quasi
pathologique.
9/ Voir A. Ehrenberg, R. Castel (sociologues) ou D. R. Dufour (philosophe) sur les conséquences
(éventuellement anthropologiques) de cette insécurité individuelle et sociale généralisée.
10/ De nombreux travaux de recherche ont tendance à montrer que le dissensus serait nécessaire à la
vie sociale.
Didier Eckel
Enseigne la sociologie, écoles de "travail social".