« La révolution permanente, au sens que Marx avait attribué à cette conception, signifie une révolution qui ne
veut transiger avec aucune forme de domination de classe, qui ne s'arrête pas au stade démocratique mais passe aux mesures socialistes et à la guerre contre la réaction extérieure, une
révolution dont chaque étape est contenue en germe dans l'étape précédente, une révolution qui ne finit qu'avec la liquidation totale de la société de classe. »
Léon Trotski, introduction à la Révolution permanente, 1929
La révolution commencée dans le monde arabe il y a six mois connaît en ce
moment une nouvelle étape, tandis qu’en Grèce et en Espagne, des centaines de milliers de personnes se mobilisent pour affirmer le refus de payer la crise. Par delà les frontières, avec des
rythmes et des intensités différentes, c’est bien une même contestation générale du capitalisme qui est en train de se construire, la révolution en permanence fraie son
chemin.
En Égypte, les « vendredis de colère » retrouvent un regain de
mobilisation. Le vendredi 27 mai, un million de personnes se rassemblaient sur la place Tahrir au Caire, 500 000 à Alexandrie, des dizaines de milliers dans beaucoup d’autres villes.
Des manifestants l’ont renommé « vendredi de la deuxième révolution » et leurs revendications exigent notamment le jugement de Moubarak pour crime, la fin des procès
contre les militants et les révolutionnaires, une réelle transition démocratique, la redistribution des richesses en faveur des pauvres. Le Conseil suprême des forces armées qui dirige le
pays est contesté, et les promesses faites sur les augmentations du salaire minimum (+75% en juillet, pour atteindre 82 €, après 27 ans de blocage total) ne calment pas la révolte. Le
mouvement populaire déstabilise d’ailleurs toutes les forces institutionnelles, puisque les Frères musulmans dénoncent publiquement le mouvement comme « contre
révolutionnaire », conspirant contre l’armée. C’est un affrontement de classe qui se développe, contre l’État, l’armée, les partis institutionnels et les groupes religieux qui
tous se raidissent.
Au Yémen, si la situation s’apparente à une guérilla entre clans rivaux, au point que le dictateur Ali Abdallah Saleh,
blessé, a dû être évacué en Arabie saoudite, c’est bien la pression populaire, suite à quatre mois de manifestations durement réprimées, qui a affaibli le pouvoir en place, ouvrant le
chemin aux forces concurrentes du cheikh Sadek al-Ahmar. Craignant une déstabilisation complète de ce régime, les dirigeants d’Arabie et d’Europe appellent à une trêve immédiate… pour
essayer de garder le contrôle de ce territoire, si vital pour le trafic pétrolier à l’entrée de la Mer Rouge. Et tout laisse penser que le cheikh se montrera responsable vis-à-vis de
l’impérialisme, lui qui a déjà accepté cette trêve.
Au Maroc, la contestation a franchi une nouvelle étape le week-end dernier. Plus de 60 000 manifestants à
Casablanca, 10 000 à Rabat, ont bravé l’interdiction et la répression pour porter des revendications démocratiques qui peuvent sembler timides, comme « un roi qui règne mais
ne gouverne pas ». Mais la mobilisationrévèle surtout qu’une partie importante de la population estime qu’il serait vain d’attendre de Mohammed VI des réformes sans faire pression
sur lui, une étape qui prépare des ruptures plus profondes.
Face à cette nouvelle vague de la révolution dans le monde arabe, les marges de manœuvres des États se réduisent, et ils
durcissent le ton… tout en essayant de donner le change en prétendant être à l’écoute des aspirations démocratiques des peuples.
Cette contradiction a été au centre du dernier sommet du G8 fin mai à Deauville, qui a bien illustré à quel point les
dirigeants du monde sont déstabilisés par la crise de leur propre système. Bousculés par les révolutions du monde arabe comme par la mobilisation des jeunes et des « indignés »
d’Espagne puis de Grèce, les puissants parlent d’« un nouvel élan pour la liberté et la démocratie ». Mais les mesures annoncées, un « nouveau plan
Marshall » pour le monde arabe, aggraveront davantage encore la crise internationale des dettes publiques dont la finance tire profit. Elles ne peuvent que renforcer encore la
colère des peuples. Pas étonnant alors que le G8 ait déclaré aussi que « Kadhafi doit partir ». L’impérialisme saisit l’occasion que le dictateur libyen lui offre pour
renforcer son intervention militaire au cœur de la région, exercer une pression sur les peuples en révolte, et depuis le week-end dernier, les bombardements de Tripoli ont été intensifiés
préparant probablement une intervention terrestre.
Face à eux, les travailleurs et la jeunesse reprennent confiance dans leur propre force, s’affirmant « sans
peur », criant « dégage »,revendiquant « la démocratie maintenant », portant leurs exigences sociales et écologiques. Ainsi, en Grèce, la mobilisation reprend, suite au nouveau plan imposé par le FMI. Plus de cent mille manifestants de la place Syntagma à Athènes ont proclamé fin mai
« la dette n’est pas la nôtre. Démocratie directe, maintenant ! Égalité, justice et dignité ! On ne perd une lutte que lorsqu’on ne la commence
pas ! ». Et le 5 juin, ils étaient encore des dizaines de milliers, à l’appel entre autre des « indignés », à traiter les députés de « voleurs »
et à dénoncer la « troïka » de l’UE, du FMI, et de la BCE. Des appels à la grève générale se font de plus en plus nombreux, certains revendiquant « qu’ils s’en
aillent tous ».
Les intérêts opposés de la bourgeoisie et du prolétariat, l'immense majorité de la population, sont mis à nus. Les
dirigeants du monde naviguent dans les doubles discours et doubles jeux, pour essayer de légitimer leur action entièrement favorable aux classes dominantes… et dissimuler dans le même temps
qu’ils sont bien incapables de régler les crises de ce système.
La force de la lame de fond des mobilisations populaires oblige ainsi Obama à déclarer dans son discours du 19 mai sur le
monde arabe qu’il entendait « montrer que l’Amérique valorise davantage désormais la dignité du vendeur de rue en Tunisie que le pouvoir brut du dictateur » ! Et
quand il se prétend partisan d’un État palestinien sur les frontières de 1967 (avant de se reprendre deux jours après), en se démarquant d’Israël, l’allié encombrant, sa seule préoccupation
est d’essayer de se faire passer pour « l’ami » des peuples arabes, dans la continuité de son discours du Caire de 2009. Le double jeu est permanent comme le montre la montée en
puissance de l’intervention militaire en Libye pendant qu’El Assad a les mains libres pour réprimer dans le sang le peuple syrien. La seule fin des dirigeants du G8 est leur propre intérêt,
organiser le redéploiement de leur puissance, assurer le maintien de leur ordre, quelques soient les changements du monde… « tout changer pour que rien ne change »
écrivait Lampedusa.
Tous ces calculs, ces doubles jeux, montrent que les puissants n’ont aucune réponse réelle aux problèmes de la population
mondiale : ils sont le problème, puisqu’ils agissent pour défendre à l’échelle mondiale l’appropriation privée par la finance des profits produits par le travail ; alors que
l’aspiration des peuples, des travailleurs, de la jeunesse est de pouvoir jouir des fruits de leur travail, des progrès économiques, sociaux, démocratiques, et de cette culture nouvelle qui
diffuse la contestation internationalement et à la vitesse de l’électronique.
Appropriation privée contre production socialisée, cette contradiction expliquée par Marx ne peut trouver sa résolution
que dans la révolution. Trotski poursuit cette idée dans sa théorie de la révolution permanente : « le développement général du capitalisme se heurte à des barrières
infranchissables faites de contradictions entre lesquelles ce développement connaît de furieux remous. C'est cela qui donne à l'époque un caractère de révolution et à la révolution un
caractère permanent. » (L’Internationale communiste après Lénine, 1928).
N’est-ce pas un raccourci saisissant de la situation que nous vivons aujourd’hui ? Une description qui nous aide à
nous préparer pour la suite, à anticiper la courbe du développement de l’affrontement entre les classes, à formuler les problèmes qui se posent à ceux qui veulent être utiles dans ce
basculement du monde.
Déjà, les peuples ont apporté leur réponse à ceux qui, après de grands enthousiasmes ou des silences gênés, proclamaient
que la révolution était aussitôt terminée, qu’il fallait maintenant laisser du temps aux « transitions démocratiques »…
Ils ont commencé à apporter aussi des réponses à une partie des militants révolutionnaires… qui ne voient pas la
révolution à l’œuvre, comme par exemple les dirigeants de Lutte ouvrière qui écrivent « il est stupide de baptiser pompeusement ce qui se déroule dans les pays arabes du nom
de ‘révolution’ »… et décrètent du haut de leur expertise que « le mouvement le deviendra peut-être car les masses apprennent dans le mouvement, dans la confrontation des
classes sociales et ne peuvent apprendre que de cette manière-là. » (revue Lutte de classe, mars 2011). Certes… mais n’est-ce pas un affrontement de classe qui a déjà
fait tomber deux dictateurs ? Bien sûr, le prolétariat n’a pas encore pris le pouvoir ni en Tunisie, ni en Égypte… mais il faut au moins voir qu’il y a une ère de révolutions qui
s’ouvre pour pouvoir en débattre, chercher à comprendre où en est ce processus, vers où peut-il aller… Comment se contenter du « un jour, les travailleurs, peut-être… »
si cher aux camarades de LO, alors que les contradictions du capitalisme ouvrent une nouvelle période sous nos yeux et nous obligent à formuler aujourd’hui pour les travailleurs une
perspective de transformation révolutionnaire de la société à partir des mobilisations en cours, des aspirations et exigences qu'elles formulent ?
Les origines de la vague révolutionnaire actuelle
Les contradictions du capitalisme qui ont abouti il y a six mois à l’explosion révolutionnaire en Tunisie et en Égypte
sont encore à l’œuvre et aboutissent à une nouvelle étape dans le processus engagé.
La jeunesse est toujours sans travail. Les droits et les aspirations des travailleurs, sociales et démocratiques, sont
toujours bafoués. Les racines de la contestation sont profondes, elles sont le produit du capitalisme lui-même, de ses contradictions, qui ont donné sa portée internationale à la révolution
arabe, trouvant son écho dans tous les pays de la région, et plus largement à l’échelle de la planète.
« Dans la mesure où le capitalisme a créé le marché mondial, la division mondiale du travail et les forces
productives mondiales, il a préparé l'ensemble de l'économie mondiale à la reconstruction socialiste » écrit Trotski dans La révolution permanente. La
« reconstruction socialiste » n’est certes pas encore commencée, mais le capitalisme a effectivement préparé les conditions de cette perspective, plantés les germes de la
révolution… paradoxalement en affaiblissant ses propres points d’appui dans les pays pauvres.
Des décennies d’attaques impérialistes ont eu raison des rapports de forces imposés par les peuples au moment de la
révolution anticoloniale. L’endettement des plans d’industrialisation des années 1970 a eu pour conséquences les « plans d’ajustement structurel » de la
dette par le FMI et la Banque Mondiale dans les années 1980, eux-mêmes ouvrant la voie à l’offensive libérale-impérialiste de la mondialisation, les privatisations, la libre-circulation des
capitaux et des marchandises, cette liberté des plus puissants contre les plus faibles.
En affaiblissant ainsi ces États pour élargir leur domination, en dissolvant l’ordre établi, les puissances impérialistes
ont bien involontairement ouvert la voie de la révolution là où les maillons de la chaine étaient les plus faibles.
La révolte du peuple tunisien l’a bien montré en renversant Ben Ali, héritier usurpateur et corrompu des luttes de
libération contre le colonialisme. La nouvelle génération de travailleurs et de jeunes, sans complexe ni nostalgie, s’avère libérée des limites des générations précédentes dont le combat
n’avait pu aller au bout « de la liquidation de la société de classe ». Les luttes d’émancipation étaient prisonnières du partage du monde entre les deux blocs de la
Guerre froide, où face à l’impérialisme de l’OTAN, l’URSS stalinienne représentait un ordre conservateur, contre-révolutionnaire. Malgré l’extraordinaire mobilisation de centaines de
millions d’hommes et femmes, pendant deux décennies, dans des dizaines de pays, le processus de la révolution permanente était paralysé, empêché de trouver le chemin vers les classes
ouvrières des pays riches, empêché d’aller au bout de ses possibilités.
Aujourd’hui, les attaques de la mondialisation libérale et impérialiste font voler en éclat les rapports issus de cette
période, de la même façon qu’elles avaient abouti à l’effondrement de l’URSS.
Après deux décennies de dissolution des anciens rapports de domination et de partage du monde, les peuples commencent à
apporter leur réponse à ceux qui, en 1991, au moment de la chute de l’URSS, affirmaient comme Francis Fukuyama qu’on atteignait « la fin de l’histoire » par un prétendu
consensus général en faveur de la « démocratie libérale ». Le marché et la démocratie allaient progresser de pair… Tout au contraire, les conquêtes du marché se sont
faites en s’appuyant sur les dictatures héritées de la période précédente, créant les conditions d’une contestation globale : pour les droits sociaux et pour la démocratie, dans la
continuité de la longue histoire des luttes des opprimés.
Quelles perspectives aujourd'hui
?
Car ce sont bien les travailleurs et les peuples opprimés qui incarnent l'avenir démocratique en luttant pour leurs
droits. La force de la première vague de la révolution a déjà été extraordinaire, en Tunisie et en Égypte bien sûr, avec le renversement de Ben Ali et Moubarak, mais aussi dans tous les
autres pays où la contestation s’est étendue, s'approfondit, où elle fait face courageusement à la répression comme en Syrie.
Dans ces deux pays, une première vague a bousculé les pouvoirs en place, même si les États n’ont pas été renversés et si
de nombreux notables ont pu se recycler, quand ce ne sont pas les forces armées qui ont donné temporairement le change en prétendant être du côté de la rue… tout en assurant aux puissances
impérialistes qu’elles garantiraient la continuité de l’ordre.
Une deuxième étape commence. Les grèves, les manifestations, posent de nouveaux les revendications sociales et
démocratiques non satisfaites depuis six mois, elles font un pas en avant et chaque problème - date des élections, nouvelle constitution, montant des salaires, sort des prisonniers
politiques, procès des anciens dirigeants… - semble être l’objet d’une intense bataille politique à travers laquelle la conscience de classe se construit face au pouvoir.
Les « gouvernements provisoires » sont contestés, leur politique soumise à la critique de la rue qui
s’interroge devant ces vieux ou jeunes notables se proclamant tous aujourd’hui « révolutionnaires ». La rue voit de mieux en mieux que les prétendus « révolutionnaires »
des gouvernements de « transition démocratique » travaillent surtout pour le retour de l’ordre contre les forces vives et populaires de la révolution.
Cette nouvelle étape qui semble plus engagée en Égypte fait la démonstration que les États actuels, même sous la pression
des masses, ne peuvent ni satisfaire les intérêts des travailleurs et de la jeunesse, ni même diriger par des méthodes démocratiques. Les exigences populaires sont trop fortes, l’État se
raidit, réprime, pour défendre les intérêts bourgeois, l’ordre. Se dessine sous nos yeux, concrètement, la thèse de la révolution permanente qui explique qu’une révolution ne peut pas
concilier la domination de la bourgeoisie avec la satisfaction des exigences démocratiques et sociales de la majorité de la population.
A travers ces batailles, les travailleurs et la jeunesse du monde arabe remettent à l’ordre du jour la question du
pouvoir des travailleurs, de leur gouvernement, question qui n’avait plus été posée concrètement à cette échelle depuis des décennies, et qui nous permet d’éclairer à nouveau la
signification même de la révolution, quand tant de caricatures l’ont transformée en un impossible « grand soir », une grève générale insurrectionnelle sans perspective
politique, sans parler de ceux qui veulent l’enfermer dans les urnes…
La situation actuelle commence à dessiner aussi que la perspective du pouvoir des travailleurs est indissociable d’une
lutte internationale. Même si chaque pays à ses propres caractéristiques nationales, tout le monde a été frappé de la rapidité avec laquelle la vague révolutionnaire s’est étendue à tous
les peuples d’Afrique du Nord et du Proche orient, la révolte, les exigences, les mots d’ordre passant les frontières.
Dans le même temps, les différences historiques et politiques entre ces pays ont montré leur importance au cours des six
derniers mois durant lesquels les événements ont pris des tournures très différentes : difficultés de mobilisation en Algérie après des années de terreur ; terrible répression en
Syrie et à Bahreïn ; mobilisation populaire mêlée de conflits entre cliques rivales pour le pouvoir au Yémen ; répression et manœuvres incertaines du roi du Maroc pour tenter
d’apaiser la contestation ; vague impossible à arrêter en Tunisie et en Égypte ; extrême division régionale en Lybie dont Kadhafi s’est servi pour asseoir son clientélisme financé
par la rente pétrolière.
Mais si ces différences nationales sont déterminantes et conditionnent chaque étape du processus révolutionnaire, les
peuples font la démonstration, à travers leurs différentes luttes, que leurs revendications se rejoignent : ce qui est à l’ordre du jour, c’est la nécessité d’un projet politique
unissant revendications sociales et démocratiques dans une même contestation générale et internationale du capitalisme, c’est une révolution en permanence qui permettra d’imposer ces
exigences dans tous les pays de la région, et au-delà : « La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l'arène internationale et s'achève
sur l'arène mondiale. Ainsi la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme : elle ne s'achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle
société sur toute notre planète. » (La révolution permanente)
Dès maintenant, chacune de ces révolutions a besoin de sa voisine pour aller plus loin. Et dans une perspective de
victoire, pour avoir la force de renverser les pouvoirs bourgeois, elles ont besoin dès maintenant de trouver des alliés dans les classes ouvrières des pays impérialistes pour s’opposer aux
interventions militaires, pour imposer l’annulation des dettes publiques…
Cette perspective invite aussi à rediscuter des prétendues expériences de « socialisme national ». Bien sûr, du
côté de la Chine, plus personne n’attend rien de révolutionnaire depuis longtemps. Mais le Venezuela de Chavez, avec son affichage prétendument internationaliste en faveur d’un
« socialisme du 21ème siècle » a suscité bien des illusions ces dernières années. L’une comme l’autre ont pleinement confirmé, au cours des mois qui viennent
de s’écouler qu’ils n’avaient pas d’autres buts que la défense de leur intérêt d’État national, hostiles aux révolutions en cours, confirmant la thèse de Trotsky selon laquelle
« la division mondiale du travail, la dépendance de l'industrie [il parlait pour l’URSS, mais cela vaut pour tous les pays] à l'égard de la technique étrangère, la
dépendance des forces productives des pays avancés à l'égard des matières premières etc., rendent impossible la construction d'une société socialiste autonome, isolée dans n'importe quelle
contrée du monde. » (R. P.) Une nouvelle fois, le socialisme à l’échelle nationale se révèle comme une imposture.
Pour mener à bout les transformations démocratique et sociale revendiquées par la révolte des peuples, c’est le problème
d’une autre répartition des richesses à l’échelle de l’économie mondiale qui est posé, par l’annulation de cette dette publique qui saigne tous les pays, par la mise sous contrôle et
l’expropriation de la finance. Cette remise en cause de la propriété privée, du pillage impérialiste et de la division internationale du travail, ne pourra être victorieuse que si elle est
menée conjointement par les classes ouvrières des pays riches et des pays dominés : « la théorie de la révolution permanente envisage le caractère international de la
révolution socialiste qui résulte de l'état présent de l'économie et de la structure sociale de l'humanité. L'internationalisme n'est pas un principe abstrait : il ne constitue que le
reflet politique et théorique du caractère mondial de l'économie, du développement mondial des forces productives et de l'élan mondial de la lutte de classe. La révolution socialiste
commence sur le terrain national, mais elle ne peut en rester là. »(Introduction à la révolution permanente)
Dans le creuset de la mondialisation, le capital
engendre ses propres fossoyeurs…
Cette perspective qui avait pu paraitre abstraite et lointaine pendant des décennies, depuis en fait que le stalinisme
l’avait enterrée dans sa contre-révolution du « socialisme dans un seul pays », commence à revenir au devant de la scène politique, la révolution permanente retrouve son
actualité.
Nous sommes frappés par les similitudes d’une jeunesse travailleuse, à la fois cultivée et précarisée par la
mondialisation capitaliste, de l’Iran à la Tunisie en passant par l’Espagne... Bien sûr, les conditions de vie sont différentes, mais les classes pauvres se rejoignent dans la même
exclusion des richesses qu’elles produisent, la même interdiction de jouir des biens et services diffusés par tous les satellites, l’inaccessible sous les yeux en permanence.
Ce sont les conditions matérielles, qui comprennent aussi bien les conditions de vie que les idées et leur diffusion, qui
créent la communauté de révolte et de revendications. La mondialisation a créé une classe ouvrière mondiale sans que le capital mesure le basculement du monde qu’il provoquait
lui-même.
Le développement inégal et combiné imposé par le capital aggrave depuis longtemps les inégalités et les injustices. La
division internationale du travail fait que des pays, des continents entiers, continuent d’être les pourvoyeurs de matières premières dont les cours sont négociés dans les capitales des
pays riches, par les multinationales de l’industrie, de la distribution, de la finance.
Mais à cette situation héritée du colonialisme et des années 70, a succédé une nouvelle phase modifiant significativement
la division internationale du travail au point que des pays pauvres ont supplanté la fonction des métropoles capitalistes, en devenant à leur place « l’atelier du
monde », Chine, Inde, Brésil, Turquie, etc. En quelques décennies, des centaines de millions de paysans de ces pays, mais aussi en Afrique, en Amérique latine, ont été arrachés à
leurs campagnes, transformés en prolétaires au cœur et en périphérie des grandes villes. L’explosion urbaine des pays pauvres est venue de ce mouvement. Ces conséquences politiques sont en
train de se faire jour maintenant, de la même façon que l’exode rural et le développement du capitalisme en Europe au 19ème siècle s’étaient traduits par des révolutions, la
naissance du mouvement ouvrier, les luttes pour les droits démocratiques, pour le socialisme.
Derrière la « croissance des pays émergents » dont parlent les économistes ne pensant qu’au PIB, se
manifeste la croissance de ceux qui produisent le PIB : le poids social, politique, et numérique de la classe ouvrière. Avec les « investissements étrangers », les
délocalisations et les migrations internationales, de fait, c’est un marché international du travail qui s’est construit dans le cadre de la mondialisation. Les travailleurs de tous les
continents sont mis en concurrence directe… et en relation. Les compétences et les techniques sont partagées, et avec elles, les idées. Une conscience commune commence à se forger
d’appartenir à la classe mondiale qui crée les richesses d’un même et unique monde globalisé, tout en étant privé de leur jouissance.
Quant aux moyens techniques qui ont rendu possible la mondialisation, les flux permanents électroniques, maritimes,
aériens, ils sont des vecteurs passant par-dessus les frontières et les censures que les travailleurs ont commencé à utiliser pour leur propre compte. C’est bien cela la signification de la
« e-révolution » ou « révolution 2.0 » que le sommet du G8 a voulu récupérer, Sarkozy n’ayant que le contrôle et la censure à proposer…
… Vers le pouvoir des
travailleurs
De tous les mouvements actuels, ressortent sous différentes formes les mêmes questions : quelle démocratie ?
qui décide ? Et la première réponse commune qui vient et gagne tous les cœurs, c’est le « dégage » à l’égard des pouvoirs en place, l’exigence de la
« démocratie réelle, maintenant ». Cette révolte ouvre de fait la question d’un rejet des institutions, d’une rupture, et du pouvoir pour quelle classe sociale, car les
problèmes démocratiques sont posés en même temps que l’exigence du travail pour tous, des conditions de vie décente, des revendications environnementales, l’annulation de la dette
publique…
La révolution « ne s'arrête pas au stade démocratique mais passe aux mesures socialistes » pose
Trotsky. Les revendications sociales et politiques marchent de pair, inséparables, et les pouvoirs bourgeois ne peuvent y répondre. Elles sont « socialistes » parce qu’elles
aboutissent à une remise en cause de la propriété privée pour pouvoir être satisfaites. C’est bien là la signification d’un « programme de transition ». Ce n’est pas un programme
qui permet de faire une transition, une pause, entre une étape où quelques mesures seraient adoptées, et une étape révolutionnaire qui serait plus lointaine. C’est un programme qui
milite pour que la lutte pour les revendications urgentes conduise à la prise du pouvoir par les travailleurs, seul moyen de les satisfaire, de les garantir.
En effet, quel gouvernement pourrait aller jusqu’à de telles mesures, si ce n’est un gouvernement des travailleurs, des
chômeurs, de la jeunesse ? Un gouvernement qui ferait clairement un choix de classe, les intérêts internationaux du prolétariat, contre ceux des classes dominantes.
Les problèmes se posent, font leur chemin, même si personne aujourd’hui ne peut dire comment les réponses vont se
construire. Comment les travailleurs et la jeunesse bâtissent-ils leur démocratie directe, leur propre pouvoir face à celui des États ? Quelle est la réalité des assemblées générales
pour diriger démocratiquement les mobilisations, aussi bien dans les quartiers que dans les usines, les bureaux, les lycées et les facs, tous les lieux de vie et de
travail ?
Ce qui s’est passé et se passe sur les places de la Kasbah de Tunis, Tahrir au Caire, Syntagma à Athènes, en cheminant
par la Puerta del Sol ou la plaça de Catalunya en Espagne, montre bien que le cadre de l’émancipation est la réunion la plus large des opprimés, dans un même lieu, pour débattre et décider.
Et que face à un pouvoir centralisé et répressif, la coordination de ces assemblées sera une étape indispensable. Les besoins démocratiques sont en train de créer les cadres nécessaires,
même si de nombreux obstacles et problèmes politiques sont là, devant nous. Et notamment comment poser, à partir des exigences de fait anticapitalistes et démocratiques, la question du
pouvoir des masses pour le socialisme ?
« La démocratie réelle, maintenant » cela signifie la lutte pour le pouvoir, un pouvoir garantissant
aux travailleurs, aux opprimés les moyens de contrôler la marche de la société, de décider. Même si, selon les pays, les rythmes sont différents, si le mouvement connait et connaîtra des
pauses, des avancées, des reculs, globalement, un long processus est engagé, s’internationalise, s’approfondit. Nos propres combats s’inscrivent dans ce processus, dans la même
perspective.
François Minvielle